• Ma présence n'est pas ici.

    Je suis habillé de moi-même.

    Il n'y a pas de planète qui tienne.

    La clarté existe sans moi.


    Née de ma main sur mes yeux Et me détournant de ma voie L'ombre m'empêche de marcher.

    Sur ma couronne d'univers, Dans le grand miroir habitable, Miroir brisé, mouvant, inverse Où l'habitude et la surprise Créent l'ennui à tour de rôle.





    Paul Eluard


  • L'amoureuse


    Elle est debout sur mes paupières
    Et ses cheveux sont dans les miens,
    Elle a la forme de mes mains,
    Elle a la couleur de mes yeux,
    Elle s'engloutit dans mon ombre
    Comme une pierre sur le ciel.

     

    Elle a toujours les yeux ouverts
    Et ne me laisse pas dormir.
    Ses rêves en pleine lumière
    Font s'évaporer les soleils
    Me font rire, pleurer et rire,
    Parler sans avoir rien à dire.






    Paul Eluard

     

     

     


  • J'habite une douleur


     

     

     

     

     

     

     

     

     


    Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau: tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible.


    Pourtant.


    Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand la récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires...


    Qu'est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?

    Il n'y a pas de siège pur.

     

     
     

    René Char
    Le poème pulvérisé (1945-1947)

     

     





  • Quand ton col de couleur rose
    Se donne à mon embrassement
    Et ton oeil languit doucement
    D'une paupière à demi close,
     
    Mon âme se fond du désir
    Dont elle est ardemment pleine
    Et ne peut souffrir à grand'peine
    La force d'un si grand plaisir.
     
    Puis, quand s'approche de la tienne
    Ma lèvre, et que si près je suis
    Que la fleur recueillir je puis
    De ton haleine ambroisienne,
     
    Quand le soupir de ces odeurs
    Où nos deux langues qui se jouent
    Moitement folâtrent et nouent,
    Eventent mes douces ardeurs,
     
    Il me semble être assis à table
    Avec les dieux, tant je suis heureux,
    Et boire à longs traits savoureux
    Leur doux breuvage délectable.
     
    Si le bien qui au plus grand bien
    Est plus prochain, prendre ou me laisse,
    Pourquoi me permets-tu, maîtresse,
    Qu'encore le plus grand soit mien?
     
    As-tu peur que la jouissance
    D'un si grand heur me fasse dieu?
    Et que sans toi je vole au lieu
    D'éternelle réjouissance?
     
    Belle, n'aie peur de cela,
    Partout où sera ta demeure,
    Mon ciel, jusqu'à tant que je meure,
    Et mon paradis sera là. 
     


    Joachim du Bellay


  •  





    Jeune ange aux doux regards, à la douce parole,
    Un instant près de vous je suis venu m'asseoir,
    Et, l'orage apaisé, comme l'oiseau s'envole,
    Mon bonheur s'en alla, n'ayant duré qu'un soir.


    Et puis, qui voulez-vous après qui me console ?
    L'éclair laisse, en fuyant, l'horizon triste et noir.
    Ne jugez pas ma vie insouciante et folle ;
    Car, si l'étais joyeux, qui ne l'est à vous voir ?


    Hélas ! je n'oserais vous aimer, même en rêve !
    C'est de si bas vers vous que mon regard se lève !
    C'est de si haut sur moi que s'inclinent vos yeux !


    Allez, soyez heureuse ; oubliez-moi bien vite,
    Comme le chérubin oublia le lévite
    Qui l'avait vu passer et traverser les cieux !






     


    Alfred de Musset






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